|
||
|
Camargue protégée François HUE Président
de la Société Nationale de Protection de la Nature |
|
Nous publions ci-dessous le dernier article qu’ait rédigé notre défunt et regretté président, qui se trouvait être aussi le président du conseil d’administration du Parc naturel régional de Camargue. La phrase finale (« Les hommes passeront, mais cette terre de lumière doit conserver ses lagunes.. » etc.) rend un son tristement prophétique puisque son auteur, défenseur acharné de la Camargue, devait trouver la mort deux semaines exactement après les avoir écrites. Mais il nous a indiqué la voie que nous devons suivre : des ententes et des accords doivent être élaborés pour que la Camargue soit à la fois respectée et mieux connue. La Camargue est à l’ordre du jour. La sauvegarde de cette région fait l’objet de nombreuses sollicitations. Le public reçoit par la voie des presses écrite et parlée des informations à ce sujet. Malheureusement, il ne peut pas toujours en suivre les développements, car plusieurs organisations publiques ou privées poursuivent des actions parallèles parmi lesquelles s’égarent les esprits même les plus attentifs. Et souvent, les mêmes noms se retrouvent dans des conseils d’administration différents. Cet article a pour but de clarifier une situation souvent confuse (1). Il ne peut être question ici de vanter les mérites des nombreux amoureux du grand delta. Sur le plan privé, certaines initiatives avaient préparé le terrain, mais la première idée de protéger la Camargue revient à l’association qui porte aujourd’hui le nom de Société nationale de protection de la nature et d’acclimatation de France (S.N.P.N.). Elle l’a fait avec des moyens précaires, grâce à la compréhension bienveillante des propriétaires successifs du sol Camarguais, la Compagnie Péchiney et ses filiales (Compagnie Alais, Froges et Camargue, Compagnie Salinière de Camargue), puis la Compagnie des Salins du Midi et des Salines de l’Est. Non seulement ces sociétés ont compris l’intérêt qu’il y avait à créer une réserve au cœur de ces lagunes, mais elles ont contribué à son maintien en offrant des subventions, et même l’une d’elles a consenti à signer en 1960, avec la S.N.P.N.. un bail d’une durée de 75 ans pour un franc symbolique, bail qui concerne un territoire de 10.500 hectares. La S.N.P.N. a non seulement assuré depuis 45 ans la gestion de la réserve zoologique et botanique ainsi constituée, mais elle a également dû lutter à maintes reprises pour le maintien du delta du Rhône. Elle a ainsi pu éviter la plantation quasi intégrale de la Camargue en vignobles en 1930. sa transformation en champ de tir après la guerre, sa défiguration par une station de radio en 1962, la construction d’un aérodrome à Méjannes en 1963, etc. Tous ces efforts ont valu à la réserve l’octroi du diplôme du Conseil de l’Europe le 19 mars 1966. A l’heure actuelle, la direction de la réserve est assurée par M. Jacques de Caffarelli sous la responsabilité du conseil d’administration de la Société nationale de protection de la nature, dont le siège est à Paris. 57, rue Cuvier. Voilà donc pour le premier acte de la protection de la Camargue. Le second commença avec l’arrivée du Docteur Luc Hoffmann, qui s’installa à la Tour du Valat et fonda un laboratoire de recherches surtout ornithologiques. De nombreux travaux en sont sortis, et la protection y gagna un territoire important à l’est du Vaccarès. Le rôle du Docteur Hoffmann n’allait pas s’arrêter là. Troisième acte l’heure des parcs naturels sonne et la Camargue donne lieu à un ambitieux projet. Une Commission préliminaire dans les bureaux de la Préfecture des Bouches-du-Rhône, décide de retenir l’idée d’un parc naturel régional et d’une Fondation. Le directeur actuel en est Jean-François Leenhardt, chargé de mission. Le territoire choisi est immense, plus de 80.000 hectares, et il déborde même hors du delta vers la petite Camargue. Il est donc évident que le territoire de la réserve est enclavé à l’intérieur du Parc. Conséquence logique le parc et la réserve sont appelés à conclure un accord qui respectera leur individualité tout en coordonnant leurs gestions respectives, et même en les confondant dans de nombreux domaines. Les hautes instances des deux organismes s’y emploient. Cela est d’autant plus nécessaire que l’État vient de réaliser une transaction des plus importantes pour la Camargue grâce à la compréhension de la Compagnie des Salins du Midi. L’État a ainsi acquis 13.000 hectares dont étang du Vaccarès, ce qui modifie quelques données du problème foncier puisque la réserve change de propriétaire (le locataire, c’est-à-dire la S.N.P.N., demeurant le même pendant toute la durée du bail qui reste à courir). Il faut ajouter que l’État, s’il a donné une très grosse somme, n’a pas été seul dans cette affaire. Le Fonds mondial pour la nature a participé largement à cette opération qui a vu son dénouement tout récemment à l’Élysée, où M. le Président de la République a remercié à la fois la Compagnie des Salins du Midi et le Fonds mondial pour la nature en les personnes de M. Génebrier et de M. Hoffmann. On pourrait donc résumer ainsi cette situation complexe A l’origine, création d’une réserve gérée par la Société nationale de protection de la nature. Création d’un laboratoire de recherches à la Tour du Valat. Création d’un parc naturel régional. Acquisition par l’État, avec l’aide du Fonds mondial pour la nature, de territoires importants qui complètent la superficie de la zone protégée. Que devrait-il se passer maintenant ? Des ententes et des accords judicieusement équilibrés devraient être élaborés afin que la Camargue soit à la fois respectée et mieux connue, donc ouverte par endroits, et seulement entrouverte là où l’impact humain serait dangereux pour la faune et la pérennité des espèces fragiles. Cela, nous le voulons tous. Il ne suffit plus que d’unir nos forces. Les hommes passeront, le Rhône changera peut-être encore de lit, mais cette terre de lumière doit conserver ses lagunes, ses terres sauvages, ses chevaux, ses taureaux et ses flamants.
Il a été publié dans « Midi libre », du 21 Janvier 1972. Publié sur le « Courrier de la Nature » N° 21 1972
|
||