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Aperçu sur les oiseaux

des étangs du littoral Languedoc-Roussillon

François Hüe
Président de la S.P.N.L.R.

 

 

Entre l’Espagne et le delta du Rhône, si on fait exception de la côte rocheuse des Albères qui mériterait une étude approfondie à cause de ses intéressantes pénétrations d’espèces zoologiques et botaniques ibériques, se développe de façon ininterrompue une zone lagunaire et lacustre. La frange littorale présente des plages sablonneuses particulièrement importantes dont l’aménagement touristique avait été négligé et dont jouissaient surtout les populations locales qui supportaient mieux que les touristes, les attaques redoutables des moustiques.

Subitement, l’aménagement du territoire désigna une mission interministérielle pour équiper touristiquement cette vaste région et tout le monde sait, grâce aux publications de la grande presse, que de puissants moyens ont été mis en oeuvre pour permettre d’accueillir, loger, distraire une grande foule de visiteurs. Des travaux énormes sont entrepris et nous voyons s’élever rapidement de véritables cités balnéaires. Une puissante équipe d’aménageurs transforme ce pays, creuse des ports, ouvre des canaux de pénétration sur les étangs côtiers. Tout cela paraît parfaitement légitime. On ne peut pas offrir aux vacanciers que du sable chaud et une mer bleue. Il leur faudra, du moins nous l’espérons, de temps en temps des distractions plus nobles. Nous savons que la mission interministérielle l’a prévu, que des spectacles d’art seront organisés à proximité et les touristes, pour changer d’horizon, pourront visiter un arrière pays admirable avec ses avant-monts, ses garrigues et les richesses des vieilles pierres de nos cités petites et grandes.

Cet ensemble devrait donc être d’un grand intérêt et d’une grande variété. Nous nous félicitons donc de ces projets, mais devant leur ampleur il était évident que quelques points seraient un peu délaissés ou négligés. On nous a avoué à l’aménagement du territoire que l’on avait parfaitement compris qu’un impact humain aussi considérable apporterait quelque gêne à la protection de la nature et que le maintien de quelques lambeaux d’espaces vierges ne compenserait pas le trouble inévitable que subirait cette région en changeant de visage.

On a donc convoqué les spécialistes dont les avis sont particulièrement pertinents, et toute la grande école botanique traditionnelle de l’Université de Montpellier a indiqué une série de petites réserves qu’il serait bon de protéger. Une autre discipline, et dont l’importance était grande en l’occurrence, a été moins consultée, c’est l’ornithologie. Curieusement en effet, cette science est trop souvent abandonnée aux amateurs et l’Université ne s’y intéresse guère. Il est donc normal que, lors de ses consultations, la mission ministérielle n’ait pas reçu d’avis d’ornithologues car elle ne savait guère où les trouver, ceux-ci écrivant peu, ou dans des revues confidentielles que les grands administrateurs n’ont évidemment pas et c’est normal, le temps de lire.

Pourtant, l’avifaune surtout aquatique de nos étangs a plus d’importance qu’on ne suppose. En plus du plaisir esthétique d’admirer les évolutions gracieuses, en plus du devoir que nous avons de conserver et de transmettre, il existe aussi des intérêts plus tangibles pour ceux dont la rentabilité est la règle d’or. Nous voulons parler de la chasse dont la valeur économique et sociale n’est pas à négliger. Les protecteurs et les chasseurs, dont la partie est ici intimement liée, ne peuvent que s’émouvoir. Ils savent que les jeux sont faits, mais ils seraient heureux d’être entendus en voyant respecter au moins une partie de ce qu’ils considèrent comme leur patrimoine. Ces territoires étant immenses, on doit pouvoir en dégager les zones les plus intéressantes et ne pas tout perturber. Nous insisterons particulièrement sur les méfaits du motonautisme, non seulement sur la faune qu’il fait fuir, mais aussi sur les élevages d’huîtres et de moules là où ils sont pratiqués.

Nous allons donc tenter non pas un inventaire ornithologique de ce que peut contenir ces étangs côtiers, mais essayer de démontrer leur intérêt.

Et disons tout de suite, grosso modo, que ces étangs sont un relais d’une importance primordiale, en particulier hivernale, pour les grands migrateurs que sont les Canards. Si on en modifie le milieu, la salinité, la quiétude, on constatera vite la disparition d’une grande escale après la réduction de la zone protégée de Camargue et l’assèchement des marais espagnols. On sait qu’en biologie, la transformation du milieu est le péché mortel. C’est rendre inacceptables les conditions de vie aux espèces qui n’ont pas le temps de s’adapter. Tout est lié pour assurer l’équilibre. Si vous favorisez telle plante ce sera probablement aux dépens de telle autre, tel insecte qui en vivait disparaîtra, tel oiseau ira gagner sa vie sous d’autres cieux. Et dans beaucoup d’endroits de la côte Languedoc-Roussillon, le milieu subira des transformations radicales. On le constate déjà.

Les chasseurs ont acquis ou loué quelques réserves, mais que vaudront-elles quand les étangs côtiers dans leur ensemble seront perturbés ? Nous le devinons sans peine.

Je ne crois pas que les spécialistes eux-mêmes se soient rendu compte de l’importance de l’avifaune des étangs du Languedoc-Roussillon. Les ornithologues et les chercheurs se sont tournés plus volontiers vers la Camargue dont la littérature ornithologique chantait à juste titre la variété et l’abondance. Quand on consulte les revues spécialisées, on n’y découvre guère que deux études fort bien faites, une de Noèl Mayaud et une, plus ancienne, du Général Clarke. Ce ne furent, ensuite, que de petites notes au demeurant assez rares. Mais, quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit que presque tous les oiseaux camarguais y sont représentés. Et s’ils n’y sont pas plus nombreux, c’est parce que leur protection ne fut pas suffisamment efficace. En effet, j’ai vu disparaître cette belle colonie d’Aigrettes et de Bihoreaux qui était encore prospère voilà dix ans environ, sur la pinède des Aresquiers dominant l’étang d’Ingril. Par contre, aujourd’hui les Flamants y sont nombreux, leur principale colonie stationne, sans nicher hélas (mais ne pourrait-on pas les y encourager en élevant un îlot artificiel ?), en bordure nord de l’étang de Vic non loin du village de Mireval.

Franchement, en établissant un parallèle entre la Camargue et les étangs côtiers, seules quelques rares espèces à ma connaissance comme l’Huîtrier sont absentes de ces derniers.

Prenons l’un après l’autre les oiseaux nicheurs qui ont fait la gloire ornithologique de la Camargue et nous les retrouvons souvent à l’ouest de cette contrée:

L’Aigrette garzette Egretta garzetta,

Le Héron bihoreau Nycticorax nycticorax ne nichent donc peut-être plus comme ils le faisaient récemment. Cependant, la présence de nombreuses Aigrettes ce printemps encore montre leur attachement à ces étangs.

Le Héron pourpré Ardea purpurea, le Butor Botaurus stellaris, le Blongios Ixobrychus minutus nichent à l’étang de Vendres et peut-être ailleurs comme sur celui de Capestang.

J’ai vu la Cigogne blanche Ciconia ciconia couver près de l’étang de Capestang, malheureusement elle ne fut pas suffisamment protégée des curieux.

Le Flamant rose Phoenicopterus ruber, comme nous l’avons écrit plus haut, séjourne longuement non seulement en hiver, mais aussi au printemps comme il vient de le faire cette année sur de nombreux étangs. A Vic, depuis six mois, plus de I 500 oiseaux se tiennent à proximité du rivage et y sont encore à l’heure où j’écris (juillet).

Tous les canards communs y ont été recensés. Tous les chasseurs et les naturalistes les connaissent. Y nichent le Col-vert et la Sarcelle d’été Anas quer quedula. Mais que sait-on exactement des autres? Par exemple du Chipeau Anas strepera, du Pilet Anas acuta (que j’ai vu souvent au printemps), du Souchet Anas clypeata et de quelques autres. La preuve en est que le 25 juin dernier, j’ai pu observer en mue un Morillon Aythia Juligula qui ne passe certes pas pour un nicheur méridional.

Et, l’hiver, séjournent à profusion toutes les espèces classiques que je n’énumérerai pas et qui se mélangent aux innombrables Foulques et à deux espèces de Grèbes.

Des recensements ont été effectués d’après un plan de recherches établi par la Station biologique de la Tour du Valat en Camargue. Des ornithologistes locaux, à une date précise, ont relevé cet inventaire qui est particulièrement éloquent et que malheureusement, faute de place, nous ne pouvons publier. Le motonautisme chasserait définitivement toutes ces espèces.

La famille des Rallidés est aussi bien représentée qu’en Camargue, toutefois, les concentrations de Foulques Fulica atra sont particulièrement remarquables et donnent lieu à des battues telles que la protection de la nature ne peut pas les approuver, en reconnaissant cependant que ces prélèvements n’ont lieu qu’à deux ou trois occasions par an et, qu’entre temps, les Foulques hivernantes reforment leurs rangs grâce à la tranquillité qu’elles retrouvent.

Les Echasses Hiniantopus himantopus se reproduisent couramment. Elles ne sont pas très exigeantes, mais changent souvent de cantonnement. Les Avocettes Recurvirostra avosetta sont plutôt en augmentation; la colonie la plus importante que je connaisse est installée depuis de nombreuses années sur des salines dans le département de l’Hérault.

Je glisserai sur les Limicoles (Chevaliers, Bécasseaux, Vanneaux) qui sont ubiquistes et dont tout un petit peuple de migrateurs profite, au passage, des conditions favorables que leur offre cette escale méditerranéenne. Les nidificateurs de cette famille sont presque tous nordiques, cependant le Gravelot à collier interrompu Charadrius alexandrinus et, beaucoup plus rarement, le Chevalier gambette Tringa totanus s’y reproduisent.

Depuis plusieurs années on peut observer autour de l’étang de Vic, la Glaréole à collier Glareola pratincola. Cette espèce doit nicher non loin des étangs dans un biotope plus sec. Il est regrettable qu’elle y soit en si petit nombre car elle n’est connue en France, comme nidificatrice, qu’en Camargue et en Crau.

Les Mouettes, Goélands et Sternes (Laridés) colonisent quelques îlots et sur le Vagaran leur nidification est importante. On bague chaque année les jeunes pour étudier leurs migrations. Il faut reconnaître que leurs colonies, faute de place, sont moins variées qu’en Camargue mais on peut y noter çà et là, la reproduction du Goéland argenté Larus argentatus, de la Mouette rieuse Larus ridibundus, de la Sterne pierre garin Sterna hirundo, de la Guifette moustac Chlidon jas hybrida et de la Guifette épouvantail Ch. figer. Bien sûr, de nombreuses autres espèces sont reconnues aux passages.

Il nous faut bien dire quelques mots des passereaux qui n’intéressent peut-être que les spécialistes, mais dont la liste limitative prouvera que ces étangs Languedoc-Roussillon n’ont rien à envier à leurs homologues provençaux.

Pour ne citer que ceux liés aux milieux aquatiques, nous nous contenterons de citer la Mésange rémiz Remiz pendulinus, la Mésange à moustaches Panurus biarmicus si communes sur l’étang de Vendres pour ne citer que celui-là. Parmi les fauvettes des roseaux, deux sont particulièrement intéressantes, la Lusciniole à moustaches Lusciniola melanopogon et la Locustelle luscinioïde Locustella luscinioides au chant d’insecte.

Nous ne voulons pas alourdir cette liste et négligeons volontairement la multitude d’espèces banales que l’on peut observer également ailleurs, nous désirons seulement attirer l’attention sur certaines espèces pour la plupart inféodées à des milieux particuliers et rares qui risquent de disparaître si le milieu est profondément perturbé.

Ce cri d’alarme étant jeté, voici, à notre sens, ce que désireraient au moins les protecteurs de la nature:

1) que les pouvoirs publics prennent conscience que tout cet immense territoire ne peut pas être bouleversé sans rupture d’équilibre, entraînant des conséquences graves même pour notre économie régionale;

2) que, d’accord avec l’aménagement du territoire, certaines régions particulièrement intéressantes soient épargnées;

3) qu’un dialogue soit ouvert entre les protecteurs, les chasseurs, les pêcheurs, les conchyliculteurs d’une part et les aménageurs d’autre part;

4) enfin, qu’en premier lieu la pratique du moto-nautisme soit sérieusement étudiée à cause des perturbations irrémédiables qu’elle créerait sur la faune de nos étangs.

Publié dans le « Courrier de la Nature » N°4 1967