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François Hüe inaugurant, le 7 mai 1971, en compagnie du préfet de région (Mr Vaugon), de Mr Bène Président du Conseil Général de l’Hérault et Mr Michel Blanc concepteur artistique, l’exposition en faveur de la protection de la nature, organisée à l’institut de botanique, par la SPNLR, à la demande de la Préfecture de l’Hérault.

 

Réflexions sur la protection de la nature

en Languedoc-Roussillon

Par François Hüe

 

 

Il est parfois lassant pour le lecteur et même pour le rédacteur d’évoquer toujours les mêmes problèmes. La défense de la nature est partout à l’ordre du jour, malgré les coups que lui portent non seulement un public qui n’en comprend pas toujours l’intérêt, mais aussi, et c’est là le véritable drame, ceux qui, tiraillés par des désirs et influences contradictoires, ne peuvent épargner quelques lambeaux de nature vierge et en détourner les bulldozers affamés.

On me dit souvent que j’entreprends un combat d’arrière-garde, que je retarde inutilement une échéance inéluctable. C’est me faire beaucoup trop d’honneur !. Je ne recule rien, et les Sociétés dont je fais partie notent chaque jour les progrès des adversaires que nous ne voulons pas considérer comme des ennemis certes, mais comme des gens d’opinions opposées. Ils prétendent souvent que nous négligeons l’homme, que nous agissons contre lui, que nous sommes des retardataires, de ridicules conservateurs. Nous ne le pensons pas. Nous avons conscience, d’abord que l’effort des aménageurs est souvent admirable à la condition que ceux-ci respectent l’équilibre, et nous prétendons aussi que la conservation intelligente est une création. Il s’agit seulement qu’une de ces écoles n’écrase pas l’autre et, sans passion, avec toute l’objectivité possible, nous allons observer ce qui se passe en Languedoc-Roussillon.

La nature y est belle, merveilleusement variée et équilibrée. Elle possède, selon un vieux cliché, deux atouts: la mer et la montagne, donc une infinité de biotopes, de contrastes que le grand public n’avait pas pleinement découverts. Des gens clairvoyants ont pressenti tout ce qu’on pouvait en extraire de joie simple, de beauté pure. C’était un acte grave que de passer subitement de l’oubli, du secret presque, à la grande vogue vacancière, à la publicité claironnante. Un littoral presque vierge offrait ses franges à l’aménagement, une garrigue méditerranéenne singulière présentait l’originalité de sa flore et de sa faune, un arrière-pays tourmenté servait de transition avec nos grands causses, avec le Massif Central, avec les Pyrénées. Les aménageurs l’ont pleinement senti comme nous et d’ailleurs ce capital nous paraissait indestructible. Ils désirent, certes, en conserver le charme, pour la raison bien simple que sa disparition serait pour eux une source d’échec. Il faut donc jouer le jeu, il faut donc s’entendre.

Et nous poussons un cri d’alarme. L’aménagement risque de dépasser ses buts. Il veut parfois trop bien faire. Considérons le littoral. Il était souhaitable d’animer ces étendues sableuses, il était nécessaire d’accueillir agréablement ceux qui voudraient bien nous apporter ces devises si désirées, il est indispensable de leur offrir tout ce qui convient, tout ce qu’ils souhaitent pour deux mois maximum de vacances estivales. Mais vouloir agir partout à la fois, avec une vigueur par ailleurs digne d’éloge, vouloir ouvrir des graus sur tous les étangs, tout bouleverser radicalement, n’offrait-il pas un danger ?

Nous l’avons dit et nous le redisons. On n’a pas prévu de témoins. Nos étangs ont un intérêt biologique et cynégétique énorme à l’heure où tous les marais s’assèchent, où tous les relais aquatiques sont mis en culture, en industrie salinière, en villages de vacances. Il aurait fallu, au départ, prévoir dans le plan d’ensemble une protection mesurée. Aujourd’hui le problème est très grave. Faute d’avoir négligé cet aspect, pourtant foncièrement humain, de ces aménagements, on prend le risque de susciter des regrets et l’on pouvait parfaitement l’éviter.

Nous sommes entrés en contact avec l’aménagement du territoire. Nous avons été écoutés et compris, mais le secret qui était alors la règle d’or des aménageurs devant certaines exigences financières, n’a pas joué en notre faveur.

Nous avons l’impression et même la certitude d’être arrivés trop tard. Les plans étaient irréversibles; on discute à l’heure actuelle sur les « mouchoirs de poche » de petites réserves qui ont un grand intérêt, mais sont beaucoup trop exigus pour être autre chose que des relictes. Nous les acceptons certes avec plaisir, mais nous ne ferions pas notre devoir si nous en restions là. Or, que nous reste-t-il? Des lambeaux. Nulle part nous ne pouvons proposer un ensemble témoin digne d’une protection efficace. Partout nous apprenons que des projets officiels ou privés vont modifier et souvent défigurer la grandeur d’un paysage, la quiétude d’un étang, la vocation d’un site.

Faut-il donc désespérer ? Nous ne le pensons pas absolument. Surtout lorsque nous recevons des communications comme celle que vous allez lire. Des amoureux de leur terroir, des protecteurs fidèles se sont penchés sur des problèmes locaux. Il y en a certes d’autres, puisque nos étangs littoraux, nos sites à protéger sont nombreux. La liste d’études que nous présentons aujourd’hui n’est pas complète et nous serions heureux si d’autres bonnes volontés se manifestaient à leur égard.

Cependant la protection de la nature en Languedoc-Roussillon ne se confine pas à la zone côtière. Je voudrais profiter de cette occasion pour signaler quelques atteintes contre notre garrigue, que certains esprits en mal de destruction voulaient faire classer comme zone inculte à l’heure où l’agriculture ne sait plus comment utiliser ses surplus ! Il existe aussi un problème fort délicat, celui de la création du Parc du Haut-Languedoc dont nous comprendrions mieux l’intérêt si ses objectifs en étaient mieux définis. Tout est entre les mains des promoteurs. Qu’ils nous disent clairement ce qu’ils souhaitent. Nous désirons les soutenir, mais à la condition que le terme de « parc » soit respecté dans son esprit et dans sa forme.

Paru dans le « Courrier de la Nature » N°11 (1969)