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François Hüe

par Christian Jouanin

Société Nationale de Protection de la Nature

 

 

François Hue a trouvé la mort dans un accident de la route, le dimanche 23 janvier 1972, alors qu'il allait prendre l'avion à Orly pour présider une réunion du conseil d'administration du parc naturel régional de Camargue.

Jusqu'à la fin donc. sa vie fut orientée vers la défense de la nature. Sa disparition prive le mouvement de protection de la nature en notre pays d'un de ses responsables les plus éminents et les plus efficaces. Elle prive la S.N.P.N. d'un négociateur particulièrement dévoué, au moment même où s'engagent des entretiens en vue de coordonner la gestion de la réserve zoologique et botanique de Camargue (créée par la S.N.P.N. en 1927, et toujours gérée par elle depuis lors) avec le programme du parc régional.

Bien qu'il ne fût pas un naturaliste professionnel, sa compétence était mondialement connue. Elle unissait les qualités d'un observateur de terrain d'une rare perspicacité à celles d'un érudit à la culture universelle. Dans sa jeunesse, son goût s'était partagé entre les insectes et les oiseaux, mais, soucieux d'aller au fond des choses et craignant que la dispersion ne nuise à la solidité de ses investigations, il s'était volontairement limité aux oiseaux : si l'on peut parler de limite en un tel cas, car sa curiosité naturelle, portée, à l'origine, vers les espèces de son Jardin ou de son Languedoc natal, avait franchi la Méditerranée. gagné les îles de l'Atlantique et l'Afrique du Nord, puis, de désert en désert - le paysage de sa prédilection - s'était étendue jusqu'au centre de l'Asie : elle entrait en Chine, si je puis dire, puisque après la publication des Oiseaux du Nord de l'Afrique (1964), des Oiseaux du Proche et du Moyen-Orient (1971), il s'apprêtait, toujours en collaboration avec son ami Robert-Daniel Etchécopar, directeur du Centre de recherches sur les migrations des mammifères et des oiseaux, à écrire une avifaune de la Chine.

Peu nombreux certainement sont les membres de la S.N.P.N. ou les lecteurs du Courrier de la Nature qui savaient que François Hue était un zoologiste de ce niveau. Comme l'a dit le sous-préfet de Béziers, dans son discours, lors des obsèques : " Vous nous aviez caché, Monsieur, que votre renom était « international ». Peu d'hommes, en effet, auront eu à ce point le souci de la modestie, se seront volontairement effacés, par discrétion pour leur prochain. Il éprouvait le sentiment que tout étalage d'érudition ou de culture pouvait être une offense à autrui, et il celait avec soin tout ce qui aurait pu paraître comme une supériorité. Mais sa bonhomie et son humeur souriante voilaient mal une exceptionnelle finesse d'intelligence et de cœur.

Les administrateurs anxieux de rapprocher les frères ennemis, d'accorder les irréductibles, connaissaient sa délicatesse de tact et son apaisante bonté, et ne se privaient pas d'y faire appel, sachant trop bien que son dévouement aux grandes causes lui dicterait le devoir d'accepter ce rôle de conciliateur auquel il était prédestiné, parce qu'il savait écouter et peser les arguments de chacun. Voilà pourquoi. à un âge où de moins altruistes eussent jugé le temps venu de se donner entièrement aux études qui leur sont chères, aux voyages d'observations et à la rédaction de savants ouvrages, il accepta les charges délicates de président de la S.N.P.N., de président de la S.P.N. Languedoc- Roussillon, de président du parc naturel régional de Camargue. Conscient, en outre, que le mouvement de protection de la nature en France ne pouvait développer toutes ses potentialités que dans un cadre fédératif, seul capable d'exalter en les respectant les énergies régionales, il fonda la Fédération française des sociétés de protection de la nature dont il resta le président d'honneur.

Il était mon ami depuis plus de vingt ans, mais je n'ai commencé à travailler sous sa direction que depuis cinq. Avec d'autres sans doute, cela aurait pu être une source de conflit, selon le vieil adage qu'il ne faut pas mêler amitiés et relations de travail. Il n'en fut rien, bien au contraire : l'affection et l'estime que j'éprouvais pour cet aîné bienveillant n'a fait que grandir au cours des années de combat pour la nature que nous avons passées côte à côte.

Article publié dans le « Courrier de la Nature »
N°21/1972 p1