![]() |
||
|
||
|
Plaidoyer pour les rapaces du Parc Naturel du Caroux par François HUE attaché au Laboratoire d’Ornithologie du Muséum National d’Histoire Naturelle |
|
Nos idées sur la nocivité de quelques animaux que nous considérons comme des concurrents ou des gêneurs ont beaucoup évolué depuis quelques années. Ceux qui osaient défendre ces « galeux » passaient pour des farfelus ou des adeptes du donquichottisme. Les arguments que l’on avançait jadis timidement étaient d’ordre sentimental et certes ils restent valables mais l’idée principale à nos yeux, en constatant leur effrayante disparition, est celle bien connue qui voudrait transmettre à nos descendants ce que nos ascendants nous ont légué. La disparition d’une espèce est un crime. Un maillon qui disparaît peut rendre la chaîne incompréhensible aux chercheurs de l’avenir et notre monde risque de ne plus avoir de sens. Hélas, nous en sommes là avec nos Rapaces diurnes, oiseaux majestueux, dont le Caroux est encore, pour le département de l’Hérault et les circonvoisins, un des ultimes refuges. Quelques rares couples y trouveront un abri précaire si nous sommes assez intelligents pour comprendre que nos derniers Aigles royaux, que nos derniers Aigles de Bonelli, nos Grands ducs ou nos Jean le Blanc, méritent de survivre, que leur influence sur la chasse est pratiquement nulle et que probablement elle est bénéfique lorsqu’ils font disparaître ces bêtes malades qui transmettent les épidémies. Nous savons que le grand argument des chasseurs est d’affirmer qu’ils ne peuvent être des naturalistes, que les Rapaces sont très difficiles à distinguer les uns des autres et qu’un coup de fusil est vite tiré. Oui, certes, nos Rapaces se ressemblent et les naturalistes eux-mêmes ont besoin d’exercer leurs yeux… Pourtant il semble que leur rareté à la limite de l’extinction mérite que l’on réfléchisse. Considérons bien qu’il faut quatre années au moins pour qu’un Aigle royal soit apte à se reproduire, qu’il pond bien deux oeufs mais que la plupart du temps un seul jeune réussit, que cette espèce a besoin d’une grande tranquillité pour établir son aire et qu’il la trouve précisément dans les solitudes de notre Caroux. Enfin, il faut le dire, car c’est la vérité, les prédations qu’on lui accorde si généreusement ne sont que des observations erronées. Certes, il est tout à fait capable de saisir un lièvre de temps en temps, mais il se nourrit aussi de bêtes malades et même mortes, rendant ainsi de grands services. C’est une question d’équilibre naturel, et ce n’est pas l’homme, avec ses intempestives interventions, qui peut le rétablir. Laissez donc, honnêtes chasseurs de perdrix rouges ou de lapins de garenne, laissez donc vivre ces derniers Aigles royaux du Caroux, ce ne sont pas vos concurrents ni vos adversaires. Ils font le métier que le Créateur leur a imposé. Ils ne sont ni nuisibles ni utiles nous les considérons comme nuisibles et pourtant ils ne peuvent modifier un régime dont ils ont hérité, et nous ne pouvons davantage les appeler utiles quand le hasard veut qu’ils nous aident lorsqu’ils font la voirie. D’ailleurs, vous n’avez plus le droit de les exterminer. Depuis le 5 Décembre dernier, tous les Aigles sont protégés par la loi. Il est inutile de les distinguer à présent. Qu’ils soient royaux, impériaux, bottés, criards, de Bonelli ou autres, tous sont respectables et leurs mérites sont officiellement reconnus. N’allez plus vous offrir à l’admiration des foules dans vos journaux quotidiens ne présentez plus ces dépouilles sans vie les ailes déployées. Laissez aux ignorants la gloire d’une photographie qui peut leur coûter très cher, puisque, avec candeur, ils reconnaissent leur culpabilité et leur ignorance. Les grands Rapaces qui hantent, à l’état résiduel, notre zone méditerranéenne, peuvent être rapidement énumérés. A part quelques incursions de jeunes d’autres espèces surtout nordiques, nous pouvons, à coup sûr, avoir affaire : 1) A l’Aigle royal ou fauve Aquila chrysaétos, le plus grand et le plus fort de tous. Sa taille et sa majesté le signalent dès le premier coup d’œil. De loin, les adultes paraissent uniformément sombres. Les jeunes montrent sous chaque aile une grande tache claire et du blanc à la racine de la queue. Nicheur. 2) l’Aigle de Bonelli, Hieraetus fasciatus, ainsi nommé par Vieillot, en l’honneur d’un naturaliste italien et dont la première description a été faite d’après un spécimen en provenance de Montpellier. Venait-il du Pic Saint-Loup ? Peut-être du Caroux ? Quoi qu’il en soit, c’est un petit Aigle méditerranéen qui ne s’élève pas en haute montagne et qui choisit nos retraites les plus paisibles sinon les plus grandioses pour avoir le droit de survivre. L’adulte, vu par-dessous, montre un ventre très clair et des ailes sombres. La poitrine, elle, n’est jamais sombre, et le dessous des ailes jamais clair, caractères essentiels pour le distinguer du suivant. 3) L’innocent, le familier Circaète Jean le Blanc, Circaetus gallicus, l’Aigle aux doigts courts des Anglais, tant la faiblesse de ses serres est remarquable. Que peut-il donc saisir ? et quel est son régime ? C’est un mangeur de serpents qu’il ingurgite souvent au vol en laissant pendre de son bec une longue couleuvre à échelons qui disparaît peu à peu aux yeux des promeneurs étonnés tandis qu’il décrit des orbes dans le ciel ou s’immobilise en faisant le Saint-Esprit pour mieux observer son territoire. Un seul oeuf, c’est la règle. Très grand pour la taille de l’oiseau, blanc et sans tache, déposé dans un nid trop souvent placé sur un arbre bas et à portée d’un grimpeur du dimanche La silhouette du Circaète est majestueuse et lente. Il se présente le plus souvent comme un grand oiseau un peu nonchalant, au ventre et aux ailes très claires. Généralement, la poitrine plus sombre contraste avec le ventre, c’est le caractère décisif. 4) Le Grand Duc, Bubo bubo. Celui-là, vous le connaissez tous, du moins par l’image. C’est une énorme Chouette qui vit, près de nos éboulis et dont la voix porte loin dans les cirques qu’il fréquente souvent. Il devient rare partout. L’Hérault a le privilège d’en posséder quelques couples et c’est une victime indirecte de la myxomatose. Sa rareté le fait protéger également par la loi. Voilà donc pour l’essentiel. Sur les petits rapaces, il y aurait beaucoup à dire, mais ils sont moins menacés. J’ai été chasseur moi-même, et, dans ma jeunesse, j’ai laissé parfois mes plombs s’égarer sans contrôle. Aujourd’hui, je le regrette, mais personne ne m’avait fait la leçon. Puissiez-vous, amis chasseurs, écouter un repenti. Bulletin APNC N° 6 1965
|
||